Qui lit encore Labruyère, Vauvenargues ou Chamfort ? Pourtant, la connaissance de ce corpus des « moralistes » qui se saisissent au XVIIe des trames antiques d’auteurs comme Théophraste et les mettent en œuvre dans le contexte anthropologique pessimiste du jansénisme, éclaire vivement ce que les philosophes classiques comme Hobbes, Locke, ou Hume pensent sous les termes de mœurs, de morale, de types, ainsi que leur analyse des comportements sociaux. Cette littérature faite de maximes, de pointes, de traits et de portraits, permet non seulement de saisir les motivations humaines de façon efficace, de démasquer les acteurs et de percer à jour leurs stratégies d’une façon qu’aucune autre forme littéraire ne permet, mais aussi de prendre du champ, et « Voir et connaître la société » (cf. Cl. Gautier). Elle participe ainsi des efforts de compréhension du social qui ont précédé la naissance de la sociologie à la fin du XIX e siècle, et le creusement de la différence entre mœurs et morale qui s’ensuivra. Il en va de même de la littérature de voyage et de cette littérature de voyage bien particulière qui décrit des voyages à l’intérieur de la société et que nous donnent les romans picaresques (La vie de Lazarillo de Tormes Les aventures de Gil Blas de Santillane). Sans la connaissance de cette tradition moraliste, de ses racines théologiques et littéraires, les débats sur l’égoïsme qui opposent Rousseau et Smith à Mandeville, et qui déboucheront sur des modélisations centrales aussi bien économiques (l’homo oeconomicus) que politiques (la position originelle de Rawls) nous échappent, comme nous échappent la préférence de Nietzsche pour l’aphorisme ou les arguments de l’utopiste Fourier.

Si le domaine visé est très large, c’est pour donner une idée de la possibilité de thèmes auxquels s’attacheront les mini-mémoires. Le séminaire alternera pour sa part contextualisations et études d’auteurs ou d’œuvres précises.