Selon Bernhard Waldenfels, « l’étranger (xenos) n’est pas un concept fondamental de la philosophie classique »[1] : le caractère multidimensionnel, situationnel et polysémique de l’étranger le rendrait d’une certaine manière « inconceptualisable », voire sans intérêt conceptuel directAu contraire, il s’agira de présupposer avec lui – et de nombreux·euses auteurs et autrices contemporain·es – le caractère fondamental de l’étranger, en tant que notion charnière qui articule l’identité et la différence, le groupe et l’individu, la philosophie morale et la philosophie politique. L’étranger, c’est en effet, dans une approche phénoménologique, ce qui est perçu comme étrange, non-familier ou inconnu : c’est une figure de l’altérité ou de la différence, au fondement de la rencontre éthique. Le premier axe du séminaire, phénoménologique et sociologique, pose la question de l’expérience de l’étranger : expérience de l’altérité d’autrui ou de soi, expérience de l’aliénation, de la frontière ou l’in-familiarité. Que signifie faire la rencontre de l’étranger ? Sous quelles conditions se sent-on étranger ? Est-on étranger à soi-même, ou se sent-on étranger sous le regard de l’autre ? 

Le second axe du séminaire, davantage ancré dans la philosophie politique et dans les débats contemporains sur « l’éthique des migrations », interroge la venue de l’étranger dans la communauté, la question de la conditionnalité de l’hospitalité, et les valeurs qui définissent le collectif. L’étranger est alors entendu comme une notion opérante dans la détermination des communautés en philosophie politique, dont on pourra dégager à grands traits trois grandes traditions : le contractualisme (l’étranger comme non-membre), le souverainisme (l’étranger comme ennemi) et le cosmopolitisme (l’étranger comme visiteur). Dans cet usage courant, l’étranger renvoie à une catégorie géographique et juridico-politique du non-national : « (Celui, celle) qui n'est pas d'un pays, d'une nation donnée; qui est d'une autre nationalité ou sans nationalité ; plus largement, qui est d'une communauté géographique différente »[2]. Mais qui dit de l’autre qu’il est étranger ? En fonction de quels critères ? Peut-on concilier les principes des droits humains ou de la liberté, avec la préservation de la communauté ou la prérogative souveraine des États nationaux ? L’étranger est-il la condition pré-politique de la communauté politique, ou l’État contemporain se constitue-t-il au contraire par la différenciation sans cesse reconduite de sujets non nationaux, en opposition au citoyen-national ?  

Ce cours entend proposer un parcours thématique dans la philosophie morale et politique contemporaine (XXème – XXIème siècle), tout en prenant en compte les apports de la sociologie et de l’histoire sociale des migrations. Il mobilise des auteurs et autrices contemporains, à l’instar de Georg Simmel, Abdelmalek Sayad, Emmanuel Lévinas, Hannah Arendt, Joseph Carens, Seyla Benhabib ou Jacques Derrida. Il repose sur des lectures hebdomadaires et des discussions collectives. 



[1] B. Waldenfels et al.Etudes pour une phénoménologie de l’étranger : Tome 1, Topographie de l’étranger, Paris, Van Dieren, 2009, p. 25

[2] Source : dictionnaire CNRTL, en ligne. 

[2] Source : dictionnaire CNRTL, en ligne.