Le langage trompeur (I) : le pouvoir des mots chez Gorgias, Thucydide et Platon

Comme le remarquait Aristote dans quelques passages bien connus (tirés notamment des Sophistici elenchi), pour peu que l’on se fie à nos habitudes linguistiques, on risque non seulement de se tromper les uns les autres, mais aussi et surtout de se tromper soi-même. C’est dire le pouvoir que le langage exerce sur ceux qui s’en servent, que ce soit à bon ou à mauvais escient. Bien entendu, Aristote n’est ni le seul ni le premier (et surtout pas le dernier) à réfléchir sur les travers et les dangers du langage qui ne se prête pas moins à dévoiler le fond de notre pensée qu’à le dissimuler, tout comme il permet à la fois de faire ressortir la variété de ce qui existe ou, alternativement, de l’escamoter sous la surface uniforme des mots. En prenant comme points de repère macroscopiques les textes sur lesquels il est possible d’indexer quelque chose comme l’évolution de la notion de langage trompeur et de tromperie linguistique, nous étudierons le pouvoir des mots chez Aristote et en amont (en particulier chez Gorgias, Thucydide et Platon). Le langage ne nous apparaîtra sous son meilleur jour certes, mais les lumières que ses défauts apportent, quelque troubles qu’elles soient par ailleurs, nous aideront à mieux apprécier ce que langage est et de quelle manière il fonctionne. 

Bibliographie indicative :

J.-F. Pradeau, « Gorgias de Léontinoi. L’Eloge d’Hélène », dans Les Sophistes, Paris, Flammarion, 2009, I, p. 137-142.

J de Romilly et R. Weil, Thucydide. Guerre du Péloponnèse, Paris, Les Belles Lettres, 1967 (livres III et V).

C. Dalimier, Platon. Cratyle, Paris, Flammarion, 1998.

C. Dalimier, Aristote. Sur l’interprétation, Paris, Flammarion, 2007.

M. Hecquet, Aristote. Réfutations sophistiques, Paris, Vrin, 2019.


R. Gusmani and T. Quadrio, « Δύνασθαι e δύναμις in contesto linguistico », dans P. Swiggers (éd.), Language, Grammar, and Erudition from Antiquity to Modern Times, Leuven, Peeters, 2018, p. 53-67.

W. Leszl, « Il potere della parola in Gorgia e in Platone », Siculorum Gymnasium, 38, 1985, p. 65-80.

N. Loraux, « Thucydide et la sédition dans les mots », Quaderni di storia, 23, 1986, p. 95-134.

M.P. Noël, « Pouvoir et art du discours. Dunamis et logos chez Gorgias », dans M. Crubellier, A. Jaulin, D. Lefebvre et P.M. Morel (éd.), Dunamis. Autour de la puissance chez Aristote, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2008, p. 27-43.

L. Spielberg, « Language, Stasis and the Role of the Historian in Thucydides, Sallust and Tacitus », American Journal of Philology, 138, 2017, p. 331-373.

Verdenius 1981 : W.J. Verdenius, « Gorgias’ Doctrine of deception » dans G.B. Kerferd (éd.), The Sophists and their Legacy, Wiesbaden, F. Steiner, 1981, p. 116-128.