Leone Gazziero, "Aristote et le langage. Mode d’emploi "

Tout nombreuses et tout influentes qu’elles soient par ailleurs (et elles sont l’un et l’autre), les indications d’Aristote concernant le langage et son fonctionnement se caractérisent à la fois par leur marginalité et leur dissémination.

Sans faire nulle part du langage et de la signification l’objet d’une investigation autonome et méthodique, Aristote en parle souvent. Les remarques et les digressions à leur sujet, tout comme au sujet de l’utilisation des mots à bon et mauvais escient, abondent dans ses écrits d’éthique et de politique (où il va jusqu’à identifier dans le langage l’un des fondements de la sociabilité humaine), de même que dans ses écrits d’histoire naturelle (où il décrit en quelque détail la physiologie de l’apparat de phonation), ou encore dans ses traités de dialectique, de poétique et de rhétorique (où il se penche souvent sur le discours et ses parties en tant que moyens d’expression artistique, outils de persuasion et d’argumentation, mais aussi instruments d’imposture et de manipulation), sans oublier les écrits sur l’âme et ses facultés (où Aristote esquisse plus d’une fois la trame de liens qui unissent le langage à la perception, à l’imagination et à la pensée). En un mot comme en cent, la curiosité d’Aristote vis-à-vis de l’ensemble hétéroclite des faits de langage est à la fois manifeste et omniprésente, mais sa compréhension des phénomènes linguistiques s’avère fort élusive.

Face à cette abondance de matériaux et aux difficultés qu’ils présentent du fait de s’offrir au lecteur en ordre quelque peu dispersé, nous allons instruire un dossier de lectures micrologiques qui balise et étudie d’aussi près que possible les principaux textes du corpus des écrits d’école Aristote où se déploie quelque chose comme sa compréhension des phénomènes linguistiques.

 Un texte en particulier retiendra notre attention : le prologue des Réfutations sophistiques, que nous allons étudier pour lui-même et dans sa postérité médiévale (latine et byzantine). Si Aristote y présente le langage sous un jour assez peu favorable, il esquisse cependant les raisons pour lesquelles il est indispensable et illustre sa nature symbolique à l’aide d’une analogie qui s’avérera très influente dans l’histoire des théories linguistique, celle entre le langage et le calcul.

 

Bibliographie indicative :

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