Thème secrets des QC du concours de Prépa IEP


Pédophilie, finances, affaire « Vatileaks » : la fin du secret au Vatican ?



L'Etat du Vatican, entouré de hautes murailles qui protègent depuis 1929, 44 ha de territoires, est synonyme de secrets sur les pages sombres de son histoire : silences de Pie XII, procès des prêtres ouvriers, mystère de la loge Pie II, inquiétante mort de Jean-Paul Ier, sulfureuse affaire Emmanuela Orlandi, fille d'un employé du Saint-Siège, disparue en 1983. Secrets et manques de transparence très liés à la nature spécifique de cet Etat indépendant, qui a donc une nature politique, mais également une mission spirituelle.


Alors que les autres régimes voisins en Europe sont peu à peu devenus démocratiques, celui du Vatican est un des seuls à être resté monarchique, et le secret fait partie de la constitution même de son pouvoir. Il est maintenu à la fois dans le mode de désignation de son souverain pontife lors des conclaves, dans les délibérations des conciles, dans l'administration et les procédures judiciaires, et jusque dans le recherche et les sources de connaissance - les fameuses Archives secrètes apostolique du Vatican, chères à Dan Brown. On pourrait même y ajouter ce secret professionnel si particulier qu'est le secret de la confession.


Il semble qu'il existe bien une singularité du Sait-Siège... Mais aujourd'hui, à l'heure des lanceurs d'alerte et cyberattaques, ce secret est-il bien gardé ? En 2012, l'affaire de fuite de documents, dite Vatileaks, a paru la première fois révéler au grand public des « secrets » sur une administration et des décisions qui n'auraient pas dû être connus. Un « corbeau », le majordome de Benoît XVI, donnait des documents à un journaliste. Le majordome, peut-être marionnette d'un groupe de pouvoir, allait enfreindre deux règles : l'inviolabilité des appartements pontificaux et la sécurité de la correspondance du pape. Pire, en 2013, l'hebdomadaire italien Panorama révélait que l'agence américaine NSA avait épié le Palais apostolique. En 2015, de nouveaux documents, issus de la commission mise en place par le pape François pour réformer les affaires économiques du Saint-Siège, allaient être jetés en pâture à deux journalistes. Aujourd'hui, que reste-t-il, avec les efforts de transparence de Benoît XVI puis de François, du secret pontifical ?



Géographie du secret au Vatican : culture, droit et pratiques


Le secret est mentionné à trois reprises dans le code de droit canonique. Le premier est le secret de la confession, il est sacramentel et donc absolu. Le second est le secret judiciaire, qui s'impose aux juges, aux avocats, aux témoins. Le troisième est le secret des membres des curies diocésaines. Mais les règles gouvernant le Saint-Siège, elles, ne sont pas dans le code. Et le secret y est partout présent.



Le secret de l'élection : le conclave


Acte fondateur du pontificat, sans doute est-ce l'élection qui reste la plus secrète au monde ! Seuls quelques spécialistes pouvaient s'attendre en 2013 à l'élection du pape François, peu de journalistes savaient que Jorge Mario Bergoglio avait déjà failli être élu lors du conclave de 2005, puisque les délibérations demeurent secrètes en théorie. Même après la tenue du conclave. Le « conclave », qui vient de l'expression cum clave (« avec une clef »), désigne la réunion à huis clos de l'ensemble des cardinaux formant le sacré Collège afin d'élire le nouveau pape. Clôture et secret en constituent donc les deux fondements essentiels. L'enfermement à clef remonte au XIII e siècle. Le Vatican était alors la cible de l'ingérence des puissances extérieures. Pour l'élection de Benoît XVI, des brouilleurs ont été installés sous un faux plancher pour qu'aucune intrusion phonique ne soit possible.



Le secret des archives


Les Archives secrètes apostoliques vaticanes ont fait couler beaucoup d'encre... 87 km de rayonnages situés au cœur du Vatican, dans le « Bunker ». L'adjectif « secrètes » qualifie l'archive privée ou réservée (secretum) du pape, qui est de son ressort suprême et exclusif. Le patrimoine de ces archives remonte au VIIIe siècle, ce qui en fait un fonds d'une richesse incroyable pour les recherches. C'est Léon XIII qui en a ouvert l'accès au public en 1881, pour tout chercheur muni d'un titre universitaire.


L'ouverture des archives est une question brûlante, de même que les restrictions en matière de communication comme l'explique Mgr Jean-Louis Bruguès, le directeur de la Bibliothèque apostolique et des Archives secrètes apostoliques du Vatican : « L'archive s'ouvre régulièrement aux chercheurs et s'ouvre pontificat après pontificat. Est-ce que tout est consultable , oui, sauf deux sortes de documents : ceux qui traitent de la vie personnelle des gens (mariages, enfants illégitimes – ça ne sera jamais ouvert) ; et ce qui, pour des raisons de conjoncture politique, présente aujourd'hui une délicatesse qui fait qu'il vaut mieux ne pas le mettre à disposition. Mais c'est une décision de conjoncture, qui change lorsque la conjoncture change aussi. »


Cependant, en réalité, la politique archivistique du Vatican pourrait dès lors être comparée à celle d'un Etat, qui connaît des années incompressibles avant de divulguer aux chercheurs certains documents, et qui fait obstruction lorsqu'il s'agit d'autoriser la consultation de certains documents sur des périodes pourtant ouvertes. L'accès à certains cartons peut être refusé, donné partiellement, en général pour des motifs identiques à ceux du Vatican, soit la « protection de la vie privée ». La question la plus brûlante est celle de l'ouverture des archives de Pie XII. Seul le pape peut l'autoriser, et le pape François n'en a pas pris la décision. L'Etat d'Israël a demandé la déclassification des archives pour les années 1939-1942, mais le Vatican a refusé au motif qu'un pontificat ne pouvait être morcelé mais devait être examiné das sa totalité. Mgr Bruguès souhaite que l'ouverture des archive ait lieu au plus vite : « Le pontificat de Pie XII le sera comme tous les autres pontificats. Je souhaite que ce soit le plus vite possible, car toutes les polémiques entendues sur le comportement éventuel de ce pape vis-à-vis des Hébreux ou des nazis... On va pouvoir juger sur pièce. Et même s'il y a des choses qui peuvent franchement déplaire, rien en vaut la vérité historique. Nous sommes au service de la vérité historique, lorsque le pape le décidera. »



Le secret commun


Pour tous le organismes de la Curie, au moment de l'embauche ou de la titularisation en CDI, l'employé doit émettre une profession de foi, jurer fidélité et observance du secret d'office. Les employés du Vatican doivent prêter serment sur la Bible. La formule revient à une profession de foi et de communion avec l'Eglise, ainsi qu'à une adhésion au magistère de l'Eglise.


Le secret commun est une règle pour tous les organismes de la Curie.



La culture du secret


Le secret procède au Vatican d'une culture bien enracinée. Romilda Ferroto a été journaliste durant 35 ans à Radio Vatican. Elle se souvient encore des premiers mots que lui a adressés la personne qui s'occupait de sa formation : « Une seule consigne, moins vous parlez, mieux c'est ! » Cette culture procéderait, selon elle, du secret de la confession, qui n'est pas un simple secret professionnel comme les autres, dans la mesure où il est inviolable au regard du code de droit canonique, sou peine d'excommnuication pour celui qui l'enfreint.



Le secret pontifical


A la Curie romaine, au delà du secret commun qui ressemblerait à un secret professionnel, on trouve le respect d'un autre secret, le « secret pontifical », bien plus important, qui remonte historiquement aux procès de l'inquisition, et qui subsiste aujourd'hui comme obligation notamment dans tous les procès de prêtres pédophiles traités par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Anciennement appelé « secret du Saint-Office », il avait été défini pour la première fois par Clément XI en 1709 pour les affaires d'inquisition, avant d'entrer dans le code de droit canonique de 1917.


L'obligation de respecter ce secret pontifical s'impose de manière très large aux cardinaux, évêques, prélats supérieurs, fonctionnaires de degré majeur ou mineur, consultants, experts et ministres.



Le secret pontifical et les affaires de pédophilie


Dans les années 2000, le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger (futur pape Benoît XVI), décide de centraliser les dossiers de pédophilie, en transférant cette compétence à sa propre congrégation. Une décision prise notamment face à l'ampleur du scandale de pédophilie dans le diocèse de Boston. Jean-Paul II précise la procédure à suivre. A partir du moment où un évêque mène une enquête préliminaire sur l'un des prêtres de son diocèse, il doit en référer à Rome, à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Celle-ci peut ordonner à l'évêque de poursuivre la procédure ou de la renvoyer devant la justice ecclésiale du diocèse, ce qui a pour but d'enterrer le dossier. A l'issue de l'enquête, la congrégation peut demander au pape l'empêchement d'exercer le ministère pour un prêtre reconnu coupable par la justice ecclésiastique ; plus rarement, elle propose au pape la démission de sa charge de la personne reconnue coupable. La Congrégation our la doctrine de la foi chasse ainsi un certain nombre de prêtres accusés de pédophilie à partir de 2004. Au début du pontificat de François, la Congrégation pour la doctrine de la foi a fait savoir qu'elle avait sanctionné 3420 prêtres, puis le chiffre de 400 prêtres réduits à l'état laïc a été publié, concernant les affaires traitées en 2011 et 2012. On pourrait alors parler de 3 820 prêtres démis entre 2001 et 2012. Ces informations ont en réalité été divulguées pour que le Vatican puisse se défendre devant les Nations unies, à Genève. A partir de janvier 2014, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies rend des conclusions très critiques concernant l'action du Saint-Siège dans la lutte contre la pédophilie. Les associations de victimes considèrent que les acte de pédophilie sont assimilables à des actes de torture, alors que le Vatican a signé en 2002 la Convention contre la torture en 1984. C'est la première fois que le Vatican se défend en présentant un rapport. Le secret est donc partiellement brisé en vue de se défendre devant une institution internationale.


Le secret pontifical est comparable, selon le canoniste Olivier Echappé , au secret défense d'un Etat, et il est inexorablement destiné au même sort : « Il est aujourd'hui difficilement tenable » confirme-t-il. Dans la pratique, au moment où le Vatican s'est mis à lutter contre les abus dans l'Eglise, il a également renforcé la pratique du secret pontifical. En ouvrant à une politique de lutte contre la pédophilie, le secret de l'instruction à certes été renforcé. Mais le silence, lui, ne tient plus, face à un monde qui demande des contes, en premier lieu, les associations de victimes, mais aussi les organisations internationales comme les Nations unies. Le Vatican, pressé de toute part par cette culture de la transparence, est devenu beaucoup plus poreux.




Vatileaks, ou la porosité du système Vatican


Comment maintenir son secret dans un monde où le secret n'existe plus et alors même qu'on décide de se lancer dans une politique de transparence, qu'il s'agisse de la lutte contre la transparence ou de la lutte contre la corruption ? A Rome, le secret de l'instruction relatif aux affaires de pédophilie est encore bien gardé, voire renforcé ; le secret des archives tente de résister aux pressions des historiens ; la discrétion des salariés est encore de rigueur, malgré un plus grand nombre de journalistes accrédités chaque année au Vatican. Mais la nouvelle culture de la transparence, voulue par Benoît XVI puis par François a eu comme conséquence de délier les langues d'individus ou de groupes internes au Vatican. Ceux-ci ont voulu donner des informations réservées à la presse afin d'ouvrir des contre-feux ou, pire, de délégitimer l'action réformatrice en cours du souverain pontife...



Vatileaks 1 : une affaire encore mystérieuse


Les premières fuites de documents au Vatican ont eu lieu à un moment ou Benoît XVI tentait de mettre de l'ordre dans les finances du Vatican, à travers l'examen ce celles-ci par l'organisme anti-blanchiment du Conseil de l'Europe, Moneyval ; dans un contexte de lutte de pouvoir entre le secrétaire d'Etat (le « premier ministre ») et les autres cardinaux de la curie. Paolo Gabriele dérobe et fait sortir des documents de l'appartement du pape et dit avoir agi pour aider le Saint-Père. Après cette affaire, on sait simplement que trois cardinaux à la retraite ont remis au nouveau pape, François, un rapport secret de 300 pages consacré aux scandales internes et conservé dans un coffre-fort.



Vatileaks 2 : un procès pour prouver que le Vatican n'est pas une passoire


Dès les débuts de son pontificat, le pape François décide d'accélérer la lutte contre la corruption mise en place par Benoît XVI et de poursuivre la mise en oeuvre de la politique de transparence – il publie notamment un rapport annuel sur l'Institut pour les œuvre de religion, connu sous le nom de « banque du Vatican ». Pour la première fois, il fait venir des laïcs et se fait aider par des cabinets d'audit. A l'été 2013, il crée deux commissions, la Cosea, une commission chargée de l'organisation des structures économiques du Saint-Siège, et la Crior, chargée d'évaluer la situation de l'Institut pour les œuvre de religion.


En 2015 éclate une seconde affaire Vatileaks. Les documents qui fuitent racontent une paralysie du système de réformes mis en place par François. On y apprend notamment à travers l'enregistrement du Pape, que celui-ci a pris acte d'une opacité totale des comptes, du risque de banqueroute imminent du Vatican, de l'amateurisme ambiant, de multiples appels d'offres surévalués au Vatican...



La transparence relève de l'action politique ; les secret, du droit. Sans doute est-ce surtout la question de la permanence d'une culture du secret qui a été posée au Vatican depuis la première affaire Vatileaks. L'organisation du Saint-Siège reste fondée sur le secret, en partie comme tout Etat, avec cette caractéristique spécifique que le Saint-Siège a une mission spirituelle et qu'il est principalement gouverné par des clers. Lorsque les papes successifs ont demandé des efforts en matière de transparence, s'entourant également de laïcs pour leurs compétences et afin de mettre à mal la culture du secret, les choses ont changé. Il avait fallu sept siècles pour que soit exposé dans un des musées du Capitole à Rome le parchemin de 60 m de long retraçant les actes du procès des templiers d'Auvergne (1309-1311). Mais, en quelques mois seulement, un majordome révélait au monde entier des documents dérobés dans les appartements du pape. Ce sont les affaires de pédophilie et de lutte contre la corruption qui ont accéléré le temps. En ouvrant la boîte de Pandore, Benoît XVI puis François ont fait éclater des scandales. Cependant, ils se sont aussi saisis de juridictions compétentes au Vatican pour sanctionner les attaques visant les intérêts supérieurs de ce si petit Etat...



Virginia Riva, in « Le Vatican »,

Pouvoirs, n°162, septembre 2017